La fin des modèles animaux et des cultures in vitro ?

Le patient virtuel sonne-t-il le glas des recherches sur l’animal et les cultures in vitro ?

Non, parce que la complexité biologique est beaucoup plus importante que ce qu’on arrive à modéliser pour le moment. On arrive à modéliser des choses assez précises sur une échelle physiologique relativement étroite. Les pathologies cardiaques constituent, par exemple, un système relativement simple. Les cardiologues ne seront évidemment pas complètement d’accord avec moi. Néanmoins, quand on passe au système immunitaire, qui est un système global avec différents types d’échelle, on arrive à des choses extrêmement compliquées. Il existe notamment des inductions très localisées, à l’échelle de quelques cellules, qu’on ne sait pas modéliser parce qu’on ne connaît pas l’étendue de ces stimulations. De la même façon que la recherche in vitro a un intérêt non négligeable, avoir des modèles virtuels permet d’éviter un certain nombre d’expériences. Mais ils ne sont pas encore à la hauteur de la complexité biologique. Les modèles in vitro non plus d’ailleurs.

À l’ère de la personnalisation des diagnostics et des traitements, la modélisation n’est-elle pas synonyme de normalisation ?

Ce n’est pas forcément incompatible. Il y a dans toute pathologie une ligne commune qu’il n’est pas aberrant de vouloir modéliser. Après, la variabilité interindividuelle est énorme. Mais ce n’est pas parce qu’on a une ligne de base que l’on ne peut pas ensuite s’en éloigner et ajuster en fonction de paramètres personnels. C’est aussi valable pour les modèles animaux qui présentent, par exemple, pour certains, toute la gamme de sensibilités que l’on retrouve chez l’homme, alors que c’est beaucoup plus difficile à établir dans un modèle virtuel. Sans modèle global, on ne peut pas s’en sortir non plus. Un modèle virtuel peut justement être utile pour trouver des traits communs à l’ensemble des patients.

Est-ce une réponse à des problèmes éthiques ?

Il y a des limitations éthiques évidentes au fait de travailler sur l’homme qui font que le problème ne se pose pas. Malgré tout il y a des recherches sur l’homme mais on ne peut pas accéder aux mêmes informations que chez les animaux. Dans mon équipe nous travaillons sur la primo-infection par le VIH. Des données que l’on ne peut pas avoir chez l’homme, à moins d’infecter volontairement des individus. Alors, nous travaillons sur des singes pour effectuer des infections expérimentales et des prélèvements très précoces.

Aucun chercheur n’aime tuer des souris ou des macaques. On le fait parce qu’on pense que c’est la meilleure solution, que c’est malgré tout un modèle extrêmement proche du point de vue immunologique. Avoir un modèle virtuel humain serait idéal mais on ne sait même pas, chez l’animal ou chez l’homme, quelles sont les premières cellules infectées. Nous sommes donc encore loin de la modélisation. Par contre, il peut y avoir une utilité relativement proche comme simulateur pour des opérations chirurgicales ou en psychologie. Pour des mécanismes complexes comme une infection généralisée, je ne pense pas qu’on puisse y rêver pour le moment.